Témoignages

de graveurs... et de personnes l'ayant côtoyé

Joaquin Jiménez

Graveur Général de la Monnaie de Paris depuis juillet 2020.

Ma première rencontre avec Monsieur Émile Rousseau eut lieu à l’occasion d’un concours monétaire qui portait sur la création de la nouvelle pièce de 10 Francs en 1985.

Lauréat de ce concours, je fus invité à rencontrer le Graveur Général des Monnaies de l’époque pour travailler à la réalisation de la gravure.

A cette occasion et dans les années qui suivirent au fil du temps et des nombreux concours j’ai pu bénéficier de ses conseils et enseignements, de sa grande bienveillance qui n’excluait en rien une aussi grande exigence, celles du travail et de la qualité artistique, celle d’un grand prix de Rome envers un « Padawan » dont il appréciait l’originalité.

Ces rapports de confiance, de respect et de travail ont permis la naissance d’un certain nombre de pièces pendant la période où il a exercé ses fonctions.
Par la suite cette collaboration s’est poursuivie sous l’égide de son successeur le Graveur Général Pierre Rodier.

A l’époque, je vivais en travaillant comme indépendant pour les instituts monétaires des pays du nord de l’Europe et pour des sociétés privées françaises.
J’étais très loin de croire à ce qu’Émile Rousseau avait entrevu sur mon destin lointain au sein de la Monnaie de Paris.

Je garde de lui le souvenir d’un très grand Graveur, d’un homme de culture pour qui nous avions du respect et de l’admiration, dont la bienveillance était réelle, d’un artiste protéiforme de grand talent maniant aussi bien le pinceau que le burin, un « taiseux » qui n’avait pas besoin de beaucoup de mots pour exprimer clairement ce qu’il pensait, un gardien des savoir-faire si précieux aujourd’hui.

Je suis très riche de l’avoir connu et reconnaissant pour son héritage. A l’Atelier nous nous référons souvent aux travaux de nos prédécesseurs et en premier lieu de ceux qui l’ont dirigé. Les Graveurs Généraux sont naturellement nos référents, nous devons transmettre à notre tour comme eux l’on fait.

Joaquin Jiménez Graveur Général

Joaquin Jiménez : Graveur Général de la Monnaie de Paris

Jean-Luc Maréchal

Ancien Maître graveur  à la MDP "papa de la 10 francs génie"

Le Patron et moi.

J’étais venu visiter l’Atelier de Gravure de la Monnaie de Paris alors que j’étais étudiant à l’école Boulle, dans les années 1962-66, avec M. Pierre Mignot, notre professeur. Le Graveur Général des Monnaies était alors Raymond Joly (qui le fût de 1954 à 1974).

Je ne suis revenu à la Monnaie qu’en 1976, en qualité d’artisan-graveur. J’avais pris rendez-vous avec M. Pierre Dehaye, le Directeur, qui était aussi président de la SEMA (Société d’encouragement des métiers d’art), et qui préparait une exposition sur « les Arts du Métal », qui allait se tenir dans l’Hôtel de Sens (Bibliothèque Fornay).J’étais venu pour lui présenter mon « chef-d’œuvre » de gravure, un travail d’incrustation moderne sur un révolver Colt Python (cf. https://10francsgenie.fr/gravure-sur-armes/).

À la fin de l’audience, M. Dehaye me demande d’aller voir Monsieur Rousseau, le Graveur Général des Monnaies, car celui-ci cherchait à recruter des graveurs ! Je remercie M. Dehaye, mais je décline la proposition, n’ayant pas du tout envie de rentrer dans l’Administration ! Je finis par accepter, par politesse, de passer saluer ce Monsieur, qui venait d’accéder au poste de chef du service de la gravure en 1974.
Notre entretien a été « franc et cordial » comme l’on dit. J’ai expliqué à Monsieur Rousseau qu’il ne fallait pas qu’il compte sur moi pour devenir Fonctionnaire. Celui-ci a quand même insisté pour que je prenne le dossier de candidature au concours d’entrée !

10 francs Génie par Jean-Luc Maréchal

Ce dossier n’a pas fini à la poubelle, comme cela aurait pu se faire ! Un an plus tard, l’économie française subissait le « choc pétrolier », plusieurs parmi mes clients ont réduit voire supprimé leurs commandes… J’avais deux garçons à nourrir… et je me suis souvenu de ce dossier ! J’ai lu et relu le règlement, les épreuves nombreuses à franchir, dont certaines techniques que je ne connaissais pas…

J’ai pris deux décisions : préparer ce concours pour le passer ; passer ce concours pour le réussir ! Je suis revenu voir M. Rousseau, et lui ai signifié ma candidature. Il y avait trois postes à pourvoir, pour un concours programmé six mois plus tard. Huit autres candidats se sont inscrits.
Je me suis mis très sérieusement au travail pour préparer les huit épreuves. Une première journée était réservée aux épreuves théoriques, français, dessin à vue, dessin de construction. Pour ceux qui franchiraient cette sélection, deux autres journées étaient réservées à la pratique : gravure au burin, lettre sur pied, frappe de lettre, champlevé monétaire, gravure en taille-douce…
Monsieur Rousseau m’a conduit auprès de Pierre Rodier, alors chef d’atelier, qui m’a mis en confiance, et conseillé de m’adresser à certains graveurs pour avoir des informations. C’est ainsi que Claude Lesot m’a expliqué comment on faisait un champlevé monétaire, comment m’entrainer que des « Lindauer », et surtout, il m’a prêté une de ses échoppes à border ! Je lui en suis toujours reconnaissant. Pour le burin, j’ai vu Bernard Turlan (mais j’étais assez serein pour cette épreuve).
L’épreuve de lettre sur pied m’inquiétait, je n’avais jamais gravé un seul poinçon de lettre. Pierre Rodier m’a remis dans les mains de Jean-Pierre Réthoré, qui sortait de l’Imprimerie Nationale. Je me suis d’abord entrainé chez moi, sur un coin de ma table de cuisine, j’ai gravé 3 ou 4 lettres, que je suis venu présenter à Réthoré. Je n’oublierai jamais ce qu’il m’a dit : « si c’est tout ce que tu sais faire, le jour du concours, tu peux rester chez toi » !
Je ne me suis pas laissé impressionner, j’ai amélioré mes poinçons, j’ai travaillé toutes les épreuves sauf le dessin, matière dans laquelle je me sentais très sûr de moi (prétentieux que j’étais).

Pendant la première journée du concours, après l’épreuve de dessin à vue, j’ai acquis la conviction que sept des candidats s’étaient fourvoyés ! J’ai effectivement eu la confirmation quelques jours après : nous n’étions plus que deux candidats, Daniel Gédalge et moi (cf. https://10francsgenie.fr/caricature/daniel-gedalge/). Ce n’était donc plus un concours, mais un examen. Il nous suffisait, lors des deux journées de pratique, de ne pas faire d’erreurs, de bien nous organiser pour ne pas perdre de temps.

Et le résultat arriva rapidement : j’étais reçu graveur à la Monnaie de Paris.

En ce beau mois de juin 1977, je faisais réellement connaissance avec celui que mes collègues appelaient « PATRON » ! Le Patron venait tous les matins nous dire bonjour, il regardait le travail de chacun, avec plus d’attention pour celui des petits nouveaux ! Je l’eus donc « sur le dos » pendant les deux premières années. L’exemple type du travail qu’il m’avait confié, et qu’il a surveillé avec une grande exigence, fut la restauration de la matrice de la « prise de Huy et de Dinant (cf. https://10francsgenie.fr/medailles/prise-de-huy-et-de-dinant/).

J’ai appris à le connaître, et la réciproque fut vraie aussi ! Il était bienveillant, attentif, discret… mais ça n’empêchait pas quelques beaux accrochages. Le plus cuisant pour moi fut la médaille de Port Grimaud, dont il a refusé que je livre le projet au client… (cf. https://10francsgenie.fr/medailles/medaille-port-grimaud-francois-spoerry/).
J’avais pourtant déjà 9 ans de présence, mais je n’ai pas fait le poids…

Ces incidents furent rarissimes ! Je me suis rapidement fait remarquer par mes créations plus contemporaines que celles proposées par certains de mes collègues… J’ai aimé me frotter à des sujets épineux, et le Patron m’a accordé une confiance totale.

Un beau jour de mars 1987, Pierre Rodier vient me dire que le Patron voulait me voir. Une telle convocation n’était pas fréquente, et c’est avec une pointe d’inquiétude que je me suis rendu dans son bureau.

Le bureau du Patron, c’était “quelque chose” ! Deux rangées de verrières, plusieurs bureaux et établis, des tableaux, des modelages, des livres, des plantes, un aimable “capharnaüm” m’attendait !

Il m’explique que le ministre des Finances a décidé de remplacer la pièce de 10 francs “Gimenez”, sortie en 1986, et mal reçue par les Français, et il me chargeait de la création du nouveau modèle !
Vous pouvez imaginer la violence de la surprise, le coup de marteau sur la tête ! Pourquoi moi ? Allais-je être digne de sa confiance ? J’ai tenté de glaner des informations. À part le module, le fait que la pièce serait bimétallique, je n’ai pas appris grand-chose…

Je ne sais pas quelle tête j’avais lorsque je suis revenu à mon établi… J’ai sorti du papier, mes crayons, et je pense que je suis resté sec le premier jour.

J’ai pondu plusieurs esquisses, sur des thèmes variés… Puis une 2e série… À la 3e, le Génie de la Liberté emportait l’approbation du ministre. Moins de 4 mois s’étaient passés. Je me suis mis à ma gravure. Ce travail s’effectuait en taille directe. Je ne savais pas encore que ce serait la dernière fois, avec la 20 francs Mont-Saint-Michel, dont le dessin était également retenu. (cf.https://10francsgenie.fr/10-francs-genie-de-la-liberte/).

La gravure des deux “MO”, le relevé des deux “PO” n’auront duré que 20 jours, ce qui me semble incroyable avec le recul. Pendant ces étapes, le Patron s’était montré très discret… Je pense qu’il venait regarder, le soir, où j’en étais… mais il ne m’a jamais rien dit.
Lorsque j’ai estimé mon travail fini, j’ai eu son aval, les plombs d’essai furent présentés au ministre, qui a donné son feu vert.

Le 25 septembre 1987, nous réalisions la première frappe, avec un rituel ancestral, qui n’a plus cours à présent… Comme je suis un des derniers survivants à l’avoir vécu, je vais vous le raconter.
Nous nous retrouvons dans l’Atelier des Frappes Spéciales, où se réalisait la fabrication des pièces de collection, les commémoratives et les petites séries. Il y avait des représentants du ministre des Finances, Édouard Balladur ; le Directeur de la Monnaie Monsieur Jacques Campet, plusieurs ingénieurs…
Mais les personnages principaux n’étaient pas ceux-là. Ils sont entrés en jeu dans l’ordre : le monnayeur qui monte les coins, règle la pression de sa presse, nettoie la moindre poussière, et frappe un premier flan… Il prend la pièce, la regarde à l’œil, puis à la loupe, sous toutes les coutures. Une fois satisfait de son examen, il passe “religieusement” la pièce au Graveur Général des Monnaies, placé juste derrière lui.
Le Patron regarde, ausculte, jauge, juge l’essai concluant. Il émet un bruit de gorge que nous connaissions tous, lorsqu’il exprimait sa satisfaction… Mmmmm… mmmmm… et il me tend enfin l’objet tant convoité !
Je prends alors mon temps, je savoure le moment ! Et puis je passe la pièce à celui qui est derrière moi… Les gens d’après n’ont aucune importance : les personnages principaux ont avalisé.
Ce rituel, qui devait vexer bon nombre de personnes, a peu à peu disparu. C’est bien dommage. Nous sommes revenus à l’AdG, j’avais changé de statut, j’étais rentré dans la cour des grands. Je ne remercierai jamais assez le Patron pour cette confiance accordée.

Je pourrais aussi vous raconter des dizaines d’anecdotes, de blagues faites avec lui, pour lui, contre lui… Je vais en sélectionner les plus savoureuses et représentatives du personnage (cf. https://10francsgenie.fr/caricature/emile-rousseau/).

Chaque année, le Patron revenait de sa maison de campagne, dans l’Yonne. Il y cultivait un grand jardin, et y soignait amoureusement quelques rangs de vigne, dont il tirait son vin… À son retour à l’atelier, il nous invitait tous à le déguster. Le jeu consistait à désigner un graveur qui devait faire un “compliment”. Une année, je fus choisi pour lui dire : “il est bon, votre vinaigre, Patron” !

Il rencontrait quelques difficultés avec l’ingénieur en chef, M. Plumail, et leurs différends étaient célèbres. Un jour où la tension était à son comble, le Patron est venu nous chercher à l’atelier : venez avec moi ! nous intima-t-il l’ordre. Nous le suivîmes dans le bureau de Plumail. Il nous demanda de bien mémoriser la disposition du mobilier, et nous le fit descendre dans la Cour d’Honneur, pour les y réinstaller ! Nous n’avons pas eu la chance de voir la surprise du monsieur…

À la grande époque, le Directeur de la Monnaie, Pierre Dehaye, recevait comme il se devait. La cérémonie des vœux rassemblait plusieurs centaines d’invités, donc beaucoup de décorés… et ses graveurs. Nous nous tenions bien, mangions et buvions dignement, Patron en tête. À un signal donné, l’ensemble des graveurs entamait “les pompiers” que je vous invite à écouter : https://www.youtube.com/watch?v=ecs5OKnObno !

Je veux conclure en insistant sur la force de caractère d’un chef de service qui ne se laissait pas marcher sur les pieds par ceux qui n’en avaient pas le droit ; un Chef qui savait de quoi il parlait, et qui nous faisait confiance dans les domaines qu’il ne maîtrisait pas (l’informatique par exemple) ; un Monsieur qui savait prendre de la hauteur par rapport aux bassesses de ce monde. Son départ à la retraite en 1994 nous a laissé un grand vide.

Quelques mois après son départ, le Patron revint nous voir. Le gardien de la loge lui demande qui il est, et veut lui faire déposer un papier d’identité ! Le Patron m’appelle, choqué. Je descends le chercher, nous faisons le tour du bâtiment, rentrons par le bureau de vente, rue Guénégaud. Là, je vais voir une des vendeuses, Rolande Goffard, je lui emprunte son badge, et l’épingle sur la veste du Patron, qui s’est donc appelé Rolande le temps d’une journée !

J’ai eu plusieurs grandes chances dans mon existence.
Celle de rencontrer Monsieur Émile Rousseau en est une.

Jean-Luc Maréchal, graveur
7 novembre 2021

Dominique Siméon

Ancien Maître graveur de la Monnaie de Paris.

Médaille commémorative du 40ème anniversaire de la grève insurrectionnelle du 10 août 1944

Ma première rencontre avec Emile ROUSSEAU.    

Pour le jeune homme que j'étais (27 ans) me trouver face à cet homme était intimidant.

Il a su de suite me mettre à l'aise, et m'a diffusé un message d'accueil au sein de cet établissement (MONNAIE DE PARIS). Sa présence et son accompagnement ont toujours été positifs, c'était un personnage entier doté d'une capacité d'écoute remarquable. Il était bienveillant et humain.

Je crois que ce qui le caractérisait le mieux était sa simplicité. Il était capable de délivrer avec force son message mais sans se monter hautain. Un grand, un très grand Monsieur toujours abordable et juste. Il avait également beaucoup d'humour.

Pour clore ce petit texte en hommage à Émile ROUSSEAU, je ne résiste pas à vous raconter cette anecdote.

Lors de notre première rencontre, il m'a demandé : "" Est-ce que tu as un outil à gorge ? "" Devant mon regard interrogateur, il m'a précisé : "" oui un verre "", parce qu'ici, on fête les anniversaires, ici c'est une famille !

Merci Monsieur Émile ROUSSEAU, cet hommage qui vous est rendu est justifié eu égard à la beauté de votre âme.

Dominique William SIMEON

Pierre Rodier

Graveur Général des Monnaies honoraire.
Successeur d'Émile Rousseau

Vingt cinquième Graveur Général des Monnaies depuis sa création en 1547, par Henri II. Ce dernier, n’acceptant plus le traité caricatural des portraits royaux, mit en place un artiste responsable de toutes les effigies.

Le tout premier graveur général nommé fut « Marc Béchot », par lettres patentes signées à Château Thierry.
Pesante charge à bien des égards, mais ô combien passionnante.

De cette lignée, E. Rousseau sera promu à ce titre en 1974 et encadrera une équipe de vingt cinq graveurs et maîtres graveurs jusqu’en 1994.

Dès sa prime jeunesse, il exprimera un désir ardent pour le monde artistique en se manifestant par le dessin jusqu’à en suivre des cours dès l’âge de onze ans.

Ce fut le grand départ pour une belle carrière en commençant ses études à l’École Boulle, puis il fréquente l’École des Beaux Arts où Il obtient le second grand prix de Rome en 1954, et passe six mois à la Casa Velasquez.

En 1957 il reçoit, le premier grand prix de Rome de gravure en médaille. Suite à l’obtention de ce prix, il passera quelques temps à la Villa Médicis.

Philippe-Auguste et le premier Louvre par Pierre RODIER

A titre privé il fera de nombreuses médailles qui seront frappées à la Monnaie de Paris. C’est ainsi que nous le connaîtrons dans l’enceinte de notre institution. Les plus anciens l’appelaient « Émile », les moins jeunes « Patron », voire Monsieur Rousseau pour les derniers arrivés. Mais c’était avant tout un homme très discret et modeste.

Sur le plan artistique il avait une très bonne notion du volume et savait le faire apprécier, il avait le sens du modelage au bout des doigts. Sur ce terrain, nous avions un modèle en commun, un « Maître à penser » qui n’était autre que Louis David D’Angers. Une référence dans le domaine.
On ressentait cette école dans tous ses travaux, savoir traiter les masses, la boulette de terre ou de plastiline posée au bon endroit, écrasée et tirée dans le sens du mouvement souhaité, tout en respectant le dessin.

J’ai en tête, le revers de sa médaille sur Eugène Delacroix « les deux mains qui s’étreignent » ce traité du modelé est parfaitement exprimé avec rigueur, maîtrise, élégance et justesse.

Dans l’acier il avait le geste sûr et le juste coup de burin qui soulevait le copeau roulant sur lui-même ; laissant naître à l’envers et en creux les volumes se mariant par des passages habiles les uns avec les autres en faisant ressortir le dessin en bonne place. C’est l’essence même de la « Taille Directe » exercice renaissant depuis les années 1960. Nous n’hésitions pas à nous exprimer de cette manière comme le faisaient nos prédécesseurs des siècles passés. « la Taille Directe est la noblesse de la gravure sur acier ».

Armé sur le plan artistique et technique, il savait donner des conseils judicieux pour une bonne élaboration sur l’ensemble des travaux au sein de notre atelier.
La diversité des œuvres était telle qu’il fallait un bon « Maestro ». Il était celui qu’il fallait pour coordonner et faire en sorte que l’atelier offrit des travaux de qualité ; ce fut le cas.

E. Rousseau était un homme ouvert, sympathique, très humain, une force tranquille de la gravure.

Ne voyez pas dans ces propos de la flagornerie, mais de la sincérité ressentie par tous.

Il nous accordait sa confiance et nous la lui rendions bien. Cette ambiance révélait un bon état d’esprit avec lequel, nous travaillions dans un climat de sérénité.

Ceci nous a permis, pour chacun d’entre nous, de nous exprimer librement et de vivre pleinement, avec passion, notre propre carrière artistique. Disons, que nous étions à bonne école.

Je vous rappelle quelques unes de ses très belles œuvres, parmi tant d’autres. Je pense à la médaille de l’exposition à la Monnaie « un moment de perfection de l’Art Français » La fonte de Jean Moulin, Le Pape Jean XXIII. Etc.

Pour terminer sa carrière, bien remplie, il eut la délicate attention de me repasser le flambeau en me faisant nommer, pour le remplacera son poste de Graveur Général des Monnaies.

Lourde tâche ….. J’en ai été profondément touché et ému. Avec un héritage de taille, il me fallait le perpétuer avec la même détermination, celle du travail bien fait.

Pierre Rodier.
Graveur Général des Monnaies honoraire.

Jean-Yves Thébault

Ancien Maître graveur de la Monnaie de Paris

Né le 10 avril 1946 à Paris. Rentre à l'Ecole Boulle avec la "promotion 79" en 1965 est en sort diplômé en 1969. Son parrain à l'entrée de l'Ecole Boulle n'est autres que Jean-Luc Maréchal. Le 13 octobre 1975, il intègre la Monnaie de Paris et il y restera jusqu'à sa retraite, le 1er mai 2011.

Copie du courrier de Mr Jean-Yves Thébault :

Monsieur Visentini

Ayant servi pendant 20 ans comme graveur puis dix ans comme Maître-graveur à la Monnaie de Paris sous sa direction, je garderais de monsieur Emile Rousseau le souvenir d'un Graveur Général qui à ses grandes qualités de créateur et de graveur dans le domaine de la monnaie et de la médaille, ajoutait celle d'être ce que j'appellerais un grand Artiste Humaniste...

Jean-Yves Thébault

Jean-Pierre Gendis

Ancien Maître graveur de la Monnaie de Paris

Une destinée professionnelle nourrie de passion et de belles rencontres.

En 1926 jean Babelon, conservateur, Adolphe Dieudonné cabinet des médailles, Pierre Turin graveur, relance timidement la taille directe dans l’acier.

En 1975, date de mon arrivée au service de la gravure de l’administration des Monnaies et médailles, je découvris un personnage haut en couleur d’une grande culture, en la personne du directeur, Pierre Dehaye, qui apporta un second souffle à la Monnaie de Paris en dynamisant ses activités et en développant la pratique de la taille directe en monnaies et médailles « activité artistique ancestrale pratiquée par les Grecs et les Romains ».
Il lance la création du club français de la médaille, du musée et des concours de monnaies et de médailles dans une émulation avec les artistes du privé, dû aux commandes d’œuvres dans une forme de mécénat d ‘état, la restauration des outillages historiques, la création de stages d’artistes du monde entier pour transmettre notre expérience et notre maîtrise de nos savoirs faire en taille direct ainsi que le lancement des monnaies commémoratives et de la collection générale, éditions particulières, bureau des expertises, etc.

Tout cela fût possible grâce à la confiance et à l’amitié que lui portait Valéry Giscard d’Estaing dont il avait été le chef de cabinet. Grâce à l’action de Pierre Dehaye, en quelques années, la Monnaie retrouva un faste incontestable qui fit d’elle un lieu culturel incontournable.

Centenaire Paris-Pessac CGT par Jean-Pierre Gendis

Ma rencontre avec Émile Rousseau, Graveur général des monnaies, eu lieu aussi en 1975 date de mon arrivée dans l’atelier de gravure de l’administration des Monnaies et Médailles.
Ce fut pour moi une révélation, de me retrouver dans le temple de l’excellence des techniques de la gravure en modeler et de la maîtrise du bas relief et plus particulièrement de la gravure en taille directe dans le cadre des missions du service public.

Le charisme qui se dégage du personnage lors de nos contacts professionnels, ou émanait de Monsieur Rousseau une grande rigueur morale et d’exigence, derrière qui se cachait une âme sensible et chaleureuse.
Il avait ce don de transmettre ce qui est rare et qui est l’apanage des grands ! Un immense artiste possédant un regard objectif, rien ne lui échappait, mais suffisamment délicat pour faire comprendre que le but n’était pas encore atteint. Une leçon de vie que je me suis appliqué à suivre, dans une recherche incessante du dépassement de soi !
Je lui en suis aujourd’hui encore reconnaissant.

Lorsque l’on prenait nos fonctions dans l’atelier de gravure, nous avions un entretien avec le Graveur général des monnaies, ainsi qu’avec les Maîtres graveurs, mais aussi avec les anciens du service, en particulier Maurice charron, que j’ai remplacé dans son poste lors de son départ à la retraite.
Ils nous prodiguaient des conseils et la voie à suivre dans nos démarches artistiques, pour que l’on s’investisse dans la création : dessin, peinture, modelage, sculpture, etc. ainsi que tout ce qui conduisait à notre développement artistique tout d’abord en rejoignant ‘’ la Société des Artistes Français ‘’ et son salon annuel du Grand palais où l’on s’expose, et où l’on se mesure aux autres artistes afin de perpétuer par notre présence l’art de la monnaie et de la médaille, dont je pourrai aujourd’hui parler au passé puisque malheureusement, avec regret j’ai eu le triste privilège d‘avoir été le dernier représentant au salon à m’y être exposé en section médailleur.

J’ai invité à maintes reprises, mes plus jeunes collègues à préparer une relève, sans aucun succès malgré les encouragements de ma part ! J’en suis désolé !!! sachant que la médaille d’honneur de la Société des Artistes Français en section médailleur s’est substituée à la disparition du Grand prix de Rome en section médailleur «décret du 24 mars 1968 paru au journal officiel, « distinction dont j’ai moi-même été honoré au salon de la Société des Artistes Français au Grand Palais en 2005 en section médailleur ‘’ sans successeur à venir ‘’.

Je déplore aujourd’hui les conséquences de la politique menée par le pouvoir en place qui nous a amené à cette situation.
C’est comme cela que Pierre Rodier en 1994 a succédé à Émile Rousseau au poste de Graveur général des monnaies. Malheureusement au départ de Pierre Rodier l’administration a cru bon de ne plus nommer de Graveur général des monnaies dans le service de la gravure en bafouant la tradition ancestrale d’une charge régalienne sacrifiant l’artistique à la faveur du technique et de la rentabilité !
Cela fera peut être sourire aujourd’hui de se souvenir que la France a connu son siècle des lumières et que les artistes graveurs médailleurs y ont pleinement pris leurs place, les savoirs faire que le monde entier nous enviaient.

Pour clore cet article, je me dois de vous relater des faits que j’ai eu le bonheur de partager au Grand Palais dans l’espace de la Société des Artistes Français, lorsque chaque année, Emile Rousseau venait me saluer accompagné de son épouse, lors du vernissage annuel, des instants précieux pour moi, ou nous échangions sur le métier et sur nos souvenirs.
Sa fidélité, sa droiture morale dans sa démarche me touchait au plus profond de l’âme, je ne l’oublierai jamais.

Bien entendu au cours de notre histoire, il est bien évident qu’il nous fallait prendre en compte les nouvelles technologies, mais en aucun cas, que celle-ci n’entraine la disparition des aciers au carbone, à la faveur des aciers alliés composés de chrome, de vanadium et de carbone. Malheureusement cette décision nous fut fatale !!! Car la dureté des aciers alliés ne nous permettait plus d‘utiliser nos outils au carbone trop fragile, burins, échoppes, ciselets ces nouveaux aciers ont signé l’arrêt de mort de l‘expression artistique, la plus noble et digne d’un conservatoire des savoirs que la Monnaie de Paris n’a pas su pérenniser, dans cette belle ambition et malgré les efforts titanesques de Pierre Dehaye, Raymond Joly, Emile rousseau etc. rien n’y fera !!! Les créations d’aujourd’hui n’auront plus jamais les mêmes valeurs artistiques se dégageant de la main et de l’esprit de l’artiste, il vous suffira de feuilleter quelques ouvrages spécialisés du début du vingtième siècle, pour vous en convaincre !!! Pour l’exemple « Louis XV un moment de perfection de l’art français édité en 1974 avec la participation de Pierre Dehaye.»

Jean-marie Marcel Darnis

Ancien  Conservateur d'archives à la Monnaie de Paris

 Ai souvenance de son humeur affable toujours égal, disponible et discret...

J’eu l’occasion de faire connaissance avec notre nouveau graveur général, Émile Rousseau lors de l’une des réunions mensuelles techniques, structurelles et d’éditorial de la revue du Club français de la médaille en1974, dont j’en fus membre actif puis consultant de 1973 à 1991.

Comme à la sainte Scène, mais disposés en fer à cheval; le directeur au centre, le s/directeur à sa droite et le chef d’exploitation (ordonnateur des grandes œuvres des fabrications monétaires, et ici des médailles débattues en cette assemblée, qui ressemblait davantage à une volière qu’à une conjugaison de pensées). Puis par ordre d’importance, le Graveur général assisté de l’un ou l’autre de ses maîtres-graveurs, le chef du Services Commercial, un chef de fabrication, le responsable du service de la presse en lien avec le ministère de tutelle, l’Agent comptable, naturellement le maquettiste intéressé par la mise en page et le secrétaire de séance jusqu’en 1975, en l’occurrence moi-même. Chacun était théoriquement appelé à donner son avis, que nous nous gardions bien de donner quant aux sujets, puisque le patron avait préalablement accepté le thème et l’artiste. Nos champions du burin et de l’échoppe, le chef de fabrication et éventuellement le responsable du secteur résine-fonderie donnaient leurs avis sur tel ou tel points techniques de faisabilité.

Gengembre par Jean-marie Marcel Darnis

À titre individuel j'eu des contacts fréquents avec Émile Rousseau, lors de transmissions de documents ou de points historiques sur des sujets de médailles dont il avait commandes; d’autorisations de visites privées de l’atelier de gravure. Ai souvenance de son humeur affable toujours égal, disponible et discret.

Lors des vœux annuels organisés par le patron autour de la galette des rois, ou de vernissages, Émile Rousseau souvent accompagné de son épouse avaient tous deux l’air un peu perdu dans cet océan de hauts fonctionnaires du ministère, chef de cabinet du ministère de la Culture, d’académiciens, de gens du spectacle, d’écrivains et les inévitables bécasses évaporées qui devisaient devant un flute de champagne, le foulard de chez Hermès ou du chic des nouveaux clips de Boucheron et de Cartier. Face à ce Gotha du Tout-Paris, le couple avait l’air de s’ennuyer ferme. De temps à autres je m’éclipsais pour leur tenir compagnie et papoter de choses et d’autres plus personnelles. Au fil des ans, leurs présences furent de plus en plus courtes, et finir par de simples apparitions.

Leurs discrétions l’un et l’autre, l’effacement de Rousseau, sa réserve, sa neutralité dans un monde et une fonction qui lui furent imposés en raison de son statut de Premier grand Prix de Rome ne le mettait pas dans son élément naturel. C’était du moins mon ressenti.

En revanche son départ à la retraite dans le salon d’honneur de Monnaie de Paris en 1994, après les rappelles biographiques prononcées par le chef d’établissement puis par son successeur, Pierre Rodier, Émile Rousseau et sa petite famille étaient décontractés - dans son monde à lui qui parlait un même langage de communauté, entouré de toutes son équipe de graveurs. Même Raymond Joly son prédécesseur fut de la partie. Rousseau était à la fois lumineux, riant, extraverti, décontracté, comme libéré inconsciemment d’un poids dont il pressentait le virage à 360 degrés de cette vénérable Maison... - L’imaginaire fugitif laissa place à la musique d’ambiance ; les bouchons de champagne commencèrent à sauter...

Que la fête commence...

Nb. Sa fille ou Pierre Rodier doivent avoir des photos de ce départ à la retraite mémorable.